"Loisel, à l'ombre de Peter Pan" - carnet de bord
par Christelle Pissavy-Yvernault

Vendredi 21 juillet

Pfffff !!!! Semaine particulièrement intense puisque, en plus de mon travail en librairie, j’ai passé les journées de  mercredi et jeudi à travailler sur la maquette chez Vents d’Ouest avec Jean-Yves et Christian. Près de 20 heures de boulot, réparties sur deux jours, sans même prendre une pause déjeuner. Le plus dur, ce n’est pas ça, c’est de rentrer à la maison et de trouver encore de l’énergie pour le second round…

Sur place, le travail de mise en page est suffisamment intéressant pour ne pas voir passer les heures. Je vois mon texte prendre forme sous mes yeux et c’est très grisant. Ca se concrétise ; ça commence à ressembler à un livre. En pratique, on passe notre temps à essayer de trouver le bon équilibre dans les doubles pages entre les visuels ; essayer de varier le genre de documents dans une même page, tout en tenant compte de celles d’avant et d’après.

Il faut également tenir compte du propos de cette double page pour que tout corresponde. Le problème c’est que si l’on ajoute ou supprime une image, si on modifie sa taille, c’est tout le texte qui se trouve décalé d’autant. Et si on avait réussi à faire coller juste une illustration avec un passage de l’entretien, il faut alors tout recommencer… Un boulot de fou !!!

Il faut être vigilant également à ne pas casser le rythme de lecture en conservant une même proportion de texte d’une page à l’autre. Jean-Yves a tendance à mettre peu de texte sur une page ; moi, j’ai tendance à faire l’inverse. Du coup, sur le troisième chapitre on a supprimé 6 pages car le texte était trop délayé et le rythme de lecture s’accélérait vitesse grand V. Ce genre de mise en page donne une impression de vide et vous ne vous attardez plus sur les images, aussi paradoxal que cela paraisse. C’est comme dans une BD : s’il n’y a pas assez de texte, on tourne les pages très vite, mais à l’inverse, quand il y en a trop, ça traînasse et on n’a plus qu’une seule envie : tourner la page ! Peut-être trouverez-vous le texte trop dense ; on aura fait ce qu’on a pu et on fera mieux la prochaine fois. Tout à l’heure, je vais lire un chapitre pour voir si le temps de lecture d’une double page n’est pas trop long.

Mais il faut savoir lâcher : ce matin, en regardant le travail d’hier, j’ai mis le doigt sur un décalage texte/image qui me chiffonne. Je vois à peu près comment arranger cela mais je ne suis pas certaine que nous ayons le temps… On a mis en page une bonne centaine de pages mais comme la date limite est le 28 ( je pars en vacances après ), je revois Jean-Yves mardi et mercredi prochain. Peut-être même jeudi. Ce qui signifie qu’en 4 jours, il doit avoir mis en page les 150 pages restantes…

Pour pouvoir bien travailler, Jean-Yves a lu tout mon texte. Evidemment, je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander ce qu’il en avait pensé. Il m’a dit avoir trouvé le ton un peu trop premier degré dans les premières pages - trop sérieux – mais que très rapidement, cela devient heureusement plus agréable. Je comprends tout à fait ce qui peut lui donner cette impression car, souvenez-vous, je vous avais dit à un moment que quelque chose s’était décoincé en moi et que le ton devenait plus investi tout en étant badin ( ou taquin ) entre lui et moi. Je ne craignais plus de dire « je » et de me montrer. Du coup, ça change tout, cela devient plus vivant. Enfin, je crois que c’est ça.

Je n’ai toujours pas reçu tous les hommages. Je ne me fais plus d’illusion. Visiblement, il y en a deux ou trois qui n’ont pas su comment me dire non, ou qui n’ont pas eu le temps… Mais ayant finalement décidé de contacter d’autres personnes, j’ai quand même seize hommages, voire dix-sept. Tout à l’heure, en ouvrant mon courrier, j’ai même eu l’incroyable surprise de découvrir une Clochette faite par un illustrateur qui m’avait pourtant déjà rendu sa copie ! Ayant appris ma déconvenue avec ses confrères, il s’est dit qu’une de plus ne serait sans doute pas de trop. Ca met du baume au cœur. La semaine dernière, j’ai donc reçu 4 dessins, tous très différents mais superbes. Comme me dit Bertrand, j’ai constitué là un album de famille où figureraient toutes les petites cousines de Clochette. C’est amusant.

Voilà où j’en suis.

J’avoue ressentir un petit besoin de prendre du large pour faire mon deuil de ces derniers mois. Loisel m’avait prévenue « Après ce livre, tu ne pourras plus me voir en peinture ! » Il s’étonnait même que cela n’arrive pas plus tôt. Voilà, c’est fait. Plus je prends de la distance et plus je réalise la chance que j’ai eue de travailler avec lui, dans ces conditions. Alors que c’est un gros bouquin sur lui - «  sa vie son œuvre », comme il dit en riant – à aucun moment il ne s’est immiscé dans mes choix. Il m’a laissé choisir les intervenants, l’orientation des entretiens… Il s’est laissé emmener là où je l’ai emmené avec une certaine bonhomie. Il m’a fait parfois des suggestions mais c’était plus sa manière à lui de me filer quelques petites idées comme il l’aurait fait si j’avais travaillé sur un autre dessinateur.

Moi, à sa place, je ne sais pas si j’aurais été aussi cool. Peut-être avait-il confiance ? Peut-être avait-il d’autres choses plus importantes à faire à ce moment là ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’il a été souverain - la grande classe ! – et que je lui en suis très reconnaissante. Sans le savoir, il m’a donné une leçon supplémentaire. Une de plus !

Au final, ce livre est le mien : il est tel que je l’ai voulu, conçu, imaginé… et c’est tellement plus valorisant de travailler dans  ces conditions que de travailler sur commande.

Bon, c’est vrai qu’il n’est pas très organisé et que toute la recherche iconographique a été un peu laborieuse. Mais c’est vraiment du détail. L’avantage d’une certaine liberté de parole dans ces cas là permet aussi de se faire comprendre de manière plus directe. Mais la liberté de parole étant dans les deux sens, il ne s’est jamais non plus gêné pour me dire d’entrée de jeu, sans même m’avoir laissé le temps de lui dire pour quoi je l’appelais «  oh non, pas maintenant ! J’arrête pas d’être dérangé et je n’ai pas encore bossé de la journée. Pas aujourd’hui ! - Bon d’accord… Demain soir à partir de 22 heures pour moi donc 16 heures pour toi, ça va ? – Oui, je préfère. Tu vas bien ?  » Bougon et gentil. Attachant. 

Tout ça va me manquer…

A bientôt.

Ch.

 

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