"Loisel, à l'ombre de Peter Pan" - carnet de bord
par Christelle Pissavy-Yvernault

Mardi 2 mai

Pur moment de bonheur : je retranscris avec plaisir une partie des raccords d’interview fait avec Loisel jeudi dernier par téléphone cependant que ma petite fille joue sur l’ordinateur à côté. Tranquillement, pour une fois… C’est l’heure de la sieste mais aujourd’hui, elle n’en a pas très envie. Ô joie ! elle me laisse travailler ! Il y a des jours comme ça…

Ci-joint une petite photo, juste pour que vous ayez une idée du contexte dans lequel se trame, dans l’ombre, le livre que vous lirez bientôt. C’est mon « envers du décor » à moi. Et puis, justement, dans le passage que je retranscris avec Loisel, on parle de ces fameux doutes dont je vous parlais il y a quelques jours…

En voilà un petit extrait. Même si cette conversation est venue alors qu’on travaillait sur le premier chapitre, j’ai choisi de l’insérer dans le chapitre deux. Cela permet un équilibrage des deux au niveau des « propos de fond ».

A bientôt,
Christelle

       
   
   
       

 

Vous doutez, parfois ?

Bien sûr, je ne suis que doute ! Même si on ne s’en rend pas compte sur l’instant, on sort toujours grandi de ces moments, aussi pénibles soient-ils. Ce sont des périodes où on n’est pas intimement persuadé d’avoir fait tout ce qu’on pouvait et on a besoin d’être rassuré. Et c’est le retour des autres qui va jouer ce rôle. Après cela, vous pouvez continuer votre travail, ça va mieux.

Cela ne veut pas dire pour autant que vos doutes ne sont pas fondés.

Bien sûr, et généralement, on sait au fond de nous si notre travail est bon ou pas. Les autres vont tenter de vous rassurer, vous dire que vous pinaillez, mais vous, vous savez que vous pouvez faire encore mieux. Et assez curieusement, si vous négligez cette petite voix intérieure et que vous continuez votre chemin sans y prêter attention, à un moment ou à un autre, il y aura toujours quelqu’un pour pointer du doigt ce que vous aviez perçu dans ce moment de doute et que vous n’avez pas corrigé.

Moralité : il n’y a personne d’autre qui sait mieux que vous si votre travail est bon !

Oui, les autres n’ayant pas en tête votre intention, il leur est difficile de porter un regard pertinent sur votre travail. Mais d’un autre côté, il faut aussi savoir lâcher ses rêves de perfection au risque d’être pris dans une spirale infernale. C’est important de relativiser, de prendre conscience que finalement, tout ça n’est pas très important.

Ces périodes de doutes doivent aussi être propice à un repositionnement, à une remise en question plus profonde, non ?

Oui, c’est ce que je vous disais tout à l’heure : ce sont les doutes qui vont vous faire avancer. Et moi je doute tout le temps. Combien de fois il m’arrive de porter sur mes dessins un regard négatif alors que d’autres confrères vont être en admiration dessus ! Moi je n’y vois que mes défauts. Sur une planche entière, je ne suis généralement satisfait que d’un ou deux dessins. C’est très rare quand je suis satisfait d’une planche complète.

C’est pour ça que vous n’avez aucun complexe à le dire quand une de vos planches vous plait ?

Oui, ça ne m’arrive pas si souvent d’être pleinement satisfait alors je ne me prive pas de me faire du bien en le reconnaissant quand c’est le cas.

Est-ce que vous pensez que le doute est un critère de talent, ou de qualité ?

S’il s’agit d’un vrai doute, la réponse est oui. On a tous rencontré des personnes dont le discours était continuellement de dire qu’ils sont bons à rien, etc… Là, ce n’est pas ce que j’appelle des doutes mais un manque de confiance en soi ; c’est un tout autre problème. Il y en a aussi qui vont faire des manières, chercher sans cesse à entendre qu’ils sont les plus beaux ou les plus forts. Ca non plus, ce n’est pas avoir des doutes. Un vrai doute c’est, à un moment de votre travail, vous demander si réellement vous êtes au meilleur de ce que vous pouvez faire, ou si vous ne vous êtes pas égaré en chemin. Vous ne cherchez pas à minauder ni à entendre des éloges, vous cherchez la réponse précise à votre petite voix intérieure.
Quant à dire que le doute, le vrai, serait garant d’un travail de qualité ou d’un quelconque talent… Je pense qu’on peut seulement dire qu’on s’approche de la qualité. Quant au talent, je ne sais toujours pas exactement ce que c’est. Par contre, ce que je sais, c’est qu’il n’est jamais acquis, c’est comme l’amour. Il faut sans cesse l’entretenir. Et il est vraiment difficile pour un seul homme d’entretenir à la fois son talent et ses amours.

 

<<< Page précédente Accueil Page suivante >>>
 
  Site officiel de REGIS LOISEL - Retour à l'accueil - ©Régis Loisel. Tous droits réservés