Jeudi, j’ai passé un peu plus de 4 heures sur la relecture du troisième chapitre, qui, comme j’ai dû vous l’annoncer, est également fini d’être retranscrit. Je craignais qu’il ne soit poussif à la lecture du fait qu’il s’agissait de commentaires sur les albums que nous feuilletions ensemble. Mais le chapitre a pris de lui-même une tournure à laquelle je ne m’attendais pas. Sans nous en rendre compte, dans ce chapitre encore, j’amène Loisel à parler un peu plus de lui-même, et son air de parenté avec ses personnages apparaît encore plus évident. C’est là toute la différence entre faire parler quelqu’un de lui, ou lui faire raconter sa vie. Sans m’en rendre compte, je l’ai amené sur le premier terrain, et c’est bien plus fort. Je ne sais pas si je vous l’ai dit mais depuis quelques jours, mon livre de chevet ( 5 minutes par soir seulement, je suis trop crevée pour lire davantage…) est « Et Franquin créa Lagaffe » écrit par Numa Sadoul. C’est un énorme livre d’entretien que je considérais comme la panacée du genre. Seulement, en le relisant, je m’aperçois que Franquin parle beaucoup de son travail mais peu de lui-même. Sadoul essaie bien de le faire parler mais il s’y prend mal : il lui demande de raconter sa vie. Franquin sortant à l’époque qu’il sort d’une dépression, il s’explique très bien sur le fait qu’il n’a surtout pas envie de parler de sa vie. Ce passage est d’ailleurs très fort et quand on voit combien il sait à merveille exprimer ses sentiments, on se dit que Sadoul a vraiment loupé quelque chose. Il fallait biaiser et lui demander de parler de lui, pas de sa vie !Alors que ce livre qui me filait des complexes, le trouvant vraiment très bien fait, aujourd’hui, je le trouve trop technique et il m’emmerde un peu. Il nous dit peu « qui » était Franquin.
Peut-être que mon ouvrage vous dira un peu trop « qui est Loisel », ce qu’il a dans le ventre, etc… mais à partir d’aujourd’hui, je me rends compte que je ne maîtrise plus rien sur l’orientation des entretiens. J’ai souvent été intriguée par ces auteurs qui disaient perdre le contrôle de leurs prsonnages. Comment cela est-il possible ? Malgré moi, je suis en train de le comprendre. On avance, on avance, on maîtrise tout, on est sûr de son fait, jusqu’au moment où votre esprit s’emballe, vous êtes pris d’une sorte de frénésie, les éléments s’enchaîinent, les questions abondent… et vous n’êtes plus rien qu’un instrument. En ce moment, mon esprit est en quasi totalité absorbé par cet ouvrage. Même quand je peins la cabane de mes enfants, j’y pense. Je dirais que tout a commencé dimanche dernier. Alors que justement je m’adonnais à ce bricolage, mon esprit vagabondait et je me suis aperçu que j’avais oublié des questions essentielles comme le faire parler de ses ateliers. Il en a occupé trois très différents pendant toute la période de Peter Pan et c’est important de le faire parler de son contexte créatif. Du coup, je vais aussi mettre des photos des maisons qu’il a habitées. Elles sont toutes très typées, vous verrez. Je ne l’ai pas non plus interrogé sur l’importance d’une muse. On a parlé des femmes, de l’amour, mais pas des muses ! Quel comble. Nous en avons souvent discuté ensemble et il m’en a appris beaucoup sur ce sujet, la manière dont un artiste peut être habité par une femme… On a aussi parlé du trésor de Kundall mais, suis-je bête, j’ai oublié de lui demander qu’il me raconte son trésor à lui… Et puis, on n’a même pas parlé de « Hook » !!!! Incroyable : comment ai-je pu passer à côté de tant de points essentiels ?
Bon, pas de panique, tout n’est pas perdu : grâce à mes questions raccords, je vais rattraper le coup et si je ne m’étais pas confessée, vous n’en auriez jamais rien su. C’est un fait.
Des questions s’ajoutent, quelques modifications s’imposent… je ne sais plus très bien où je vais mais j’avance. Peut-être est-ce que pour certains, on parlera trop de lui et on ne sera pas assez technique. Pour d’autres, ce sera exactement ce que vous attendiez… Je ne sais pas ce que ce livre sera mai il sera ce qu’il est. J’en parlais hier avec Loisel, justement, et il me conseillais de me laisser faire par cette tournure des évènements. « Le livre sera ce qu’il sera, il ne plaira pas forcément à tout le monde mais il sera juste. Tout ce qui est en train de se mettre en place malgré toi se fait par une certaine logique qui t’échappe, mais laisse-toi faire. A trop « vouloir-faire », ce sera fabriqué, et ça ne sera jamais bon. Laisse-toi faire.»
Ca tombe bien, c’est intuitivement ce que j’avais décidé de faire. Fort de son expérience, il y a fort à parier qu’il a raison.
En tout cas, il y a des moments dans les entretiens où je crois qu’il est lui aussi dépassé par ses réponses. Il formule des questionnements qu’il n’avait jamais abordés, il se surprend à faire des liens entre ses histoires et lui-même auxquels il n’avait jamais pensé… Vous le savez déjà, ce type est drôlement fort et, comme il n’arrête pas de me le répéter « le pire, c’est que je ne le fais même pas exprès. Je ne me rends compte de rien, j’avance. »
Voilà. Je dois partir pour Mantes-la-Jolie où il y a aujourd’hui un festival de bandes dessinées. En voisine, et libraire, ils m’ont invitée. J’ai plaisir à y aller, me disant que sans doute, quelqu’un se présentera à moi en me disant : «je lis régulièrement votre carnet de bord ».
Peut-être à tout à l’heure, si l’un d’entre vous vient me voir…
A bientôt
Christelle