"Loisel, à l'ombre de Peter Pan" - carnet de bord
par Christelle Pissavy-Yvernault

Mercredi 21 juin

Mon Dieu, quelle aventure ! Je suis rentrée ce matin de notre petite virée pour clore les entretiens et je suis sur les genoux ! j’ai du dormir 8 heures en deux jours.

Pourtant, lundi, tout avait plutôt bien commencé : on s’est retrouvés comme prévu chez Attakus où il devait valider leur dernière création. Il s’agit d’une somptueuse Clochette en terre cuite posée sur la main de son créateur him-self. Juré, ça va faire un malheur !

Ils ont fait un sacré beau boulot. Comme le disait Régis, ils sont les seuls sculpteurs sur la place à ne commercialiser un projet que lorsque tout le monde en est pleinement satisfait.

La différence entre leurs statuettes et celle des autres est flagrante.

       
   
   
       

Le soir, nous avons dîné avec Gibrat dans l’incroyable jardin du Bistro des Dames à Paris. On dirait un décor de cinéma. Ils ont commencé très rapidement l’un et l’autre à entrer dans le vif du sujet et à échanger sur leur métier. J’ai adoré les écouter disserter sur la différence entre un beau et un bon dessin, sur ce que Gibrat appelle un travail de fainéant, sur leurs parcours si opposés et au final si proches…

       
   
   
       

J’étais LA petite souris qui écoutait tout ça et j’ai pensé très fort à vous qui me lisez. Pour ne rien perdre de mes impressions, j’ai pris des notes dans mon petit carnet orange. Vous en voulez quelques unes ? Au hasard : « Si je parle, je vais tout gâcher. Il vaut mieux que je me taise et que je les laisse faire ! – Je sais pourquoi je suis là: pour prendre des photos ! – Incroyable : je suis la seule fille, j’ai mis une jolie robe et ils ne me regardent même pas ! – Si j’en place une, il faut que ce soit intelligent. Attendons un peu… - Oui mais j’ai tout de même une question à poser . Je tente ? – Ouiiii !!! Ils ont sauté sur ma question avec bonne humeur. C’est bon cocotte, continue ! – Gibrat : quelle intelligence, quelle sens de la réflexion et de la formule ! … » Voilà ce que je me disais pendant qu’ils parlaient. C’était un moment magique, et je sais que j’ai été très privilégiée d’être là ce soir là. Je vais me régaler à retranscrire tout ça. 2h30 de haute voltige. Petite anecdote : à nous 3, on a juste descendu 3 bouteilles de vin…

Le lendemain, Régis et moi nous sommes repartis dans la direction de Valenciennes, pour rejoindre Pierre Dubois qui nous attendait à déjeuner, un marmot cuisant au four…. Le voyage fut très agréable, on a chanté à tue-tête des chansons de Joe Dassin, Marie Laforêt et Fréhel. On était joyeux, quoi ! Sauf que, vers 12h30, au moment de faire le plein, sans doute les vapeurs du vin bu la veille aidant, je me suis trompée : j’ai versé du super dans mon réservoir de gasoil… 18 litres. Quelle vraie gourde ! On était entre Cambray et Havennes sur Helpes, à Coudry. 4 heures de galère pendant lesquelles on a essayé comme 2 imbéciles de siphonner artisanalement le plein. On s’est pris quelques rasades de super et c’est vraiment dégueulasse. En plus, on n’a même pas réussi. On a appelé un garagiste qui, 1h30 plus tard n’était toujours pas là et qui, je l’ai su après, n’avait pas le temps de s’occuper de nous avant… le lendemain ! On a réussi à trouver un gentil garagiste qui, lui, ne nous a pas envoyé de dépanneuse car il nous a dit qu’on avait encore assez de gasoil dans le filtre pour rouler jusque chez lui et, en ¼ d’heure, il avait résolu notre problème. Avec Régis, on a trouvé le terme juste pour qualifier le garage Renault Minute du Coudry : ce sont des enfoirés ! Selon eux, il y en avait pour deux heures… Vraiment des enfoirés… On est arrivés vers 17heures chez Pierre et Aline, puant le gasoil.  On a quand même ri de nos aventures, même sur le coup. On a pris des photos, regrettant de ne pas avoir eu le réflexe de nous photographier en train de siphonner le plein sur le parking du centre Leclerc…

       
   
   
       

J’ai pu vérifier en tout cas que si Régis n’est pas très doué pour siphonner, en tout cas, il est extra quand il s’agit de pousser une voiture avec une fille dedans : il le fait avec le sourire, même si ça ressemble aussi à une grimace ! Comme quoi, même pour un fabuleux dessinateur comme lui, une panne reste une panne ! A quoi l’ai-je réduit ? Va-t-il me le pardonner ?

Quoi qu’il en soit, la rencontre avec Dubois s’est belle et bien faite. On a passé un moment vraiment pas ordinaire chez cet homme très particulier. La rencontre s’imposait, même si le bagout de Pierre Dubois a souvent laissé Régis sans voix. C’était passionnant. Quel érudit, quel analyste, quel type !!! Là aussi, je sens que je vais me régaler. C’était amusant de voir Régis et lui, si différents, mais si affectueux l’un envers l’autre. J’ai pris une photo magnifique où ils se promènent bras-dessus bras dessous dans le jardin… L’ombre et la lumière, vraiment. Nous avons repris la route peu après minuit, arrivant sur Paris vers 3 heures du matin. Quelle virée ! J’ai loupé les deux épisodes de Desperate House Wifes qui passaient hier soir à la télé mais ça valait bien ça !!!!  J’ai pris des photos, plein. Je vous en jette quelques unes en pâture, pour le plaisir, comme d’habitude.

       
   
   
       

Je commence mes retranscriptions dès demain. Toutes les siestes de mes enfants et toutes mes soirées vont y passer jusqu’à la fin totale de l’écriture du bouquin. Je n’ai pas le choix. Je suis réellement épuisée, incapable de pouvoir m’asseoir sans rien faire, même ¼ d’heure, tellement j’en ai perdu l’habitude. Depuis plusieurs mois je vis un rythme fou, je n’ai lu qu’un livre depuis 6 mois : le roman de Peter Pan. Deux fois.

Même si j’essaie de garder un certain équilibre pour ne rien sacrifier à mes enfants et mon mari, travaillant pendant ce qui devrait être mes temps de repos, je suis toute entière tournée vers cet ouvrage, ce personnage, cet auteur, et je commence un peu à perdre pieds. Dimanche dernier, pour la première fois depuis plusieurs mois, je n’ai pas travaillé pendant la sieste de mes enfants. J’ai regardé la télé. C’était d’un exotisme fou ! Je sais que la fin va être difficile, tellement je me suis investie dans ce travail. Il faut que je sois attentive pour ne pas que la reprise à une vie normale ne soit pas source de déprime. Je reprends mon travail de libraire le 3 juillet. La récré sera terminée pour moi. Je me demande juste comment je vais faire pour trouver de l’intérêt dans  ce métier que je pratique depuis presque 20 ans après avoir vécu des émotions aussi fortes depuis ces 7 derniers mois. Il faut juste que je me dise que j’ai eu la chance de pouvoir vivre ça, que ça n’est pas donné à tout le monde non plus, et trouver du réconfort dans le souvenir de cette incroyable expérience, incroyable à ma petite échelle.

Bien, je vous laisse, j’ai vraiment raconté beaucoup de choses ce soir. Je suis fatiguée et la route est encore longue, même si je suis presque arrivée. Les derniers kilomètres sont toujours les plus difficiles.

C’est ce que disent les experts.

A bientôt

Ch.

 

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