Voici un nouvel extrait tiré des fameuses questions supplémentaires ajoutées au chapitre 1. Juste pour le plaisir, comme d’habitude.
Avouez qu’il aurait été dommage de ne pas avoir ces réponses là, non ?
A bientôt,
Christelle
Le dessin pourrait vous happer totalement si votre entourage ne vous rappelait pas parfois à revenir à la réalité ?
Oh oui. Au début de mon installation à Montréal, je suis resté quelques mois sans atelier, donc à la maison, et cela devenait de plus en plus insupportable pour tout le monde. J’étais comme un fauve en cage, je tournais en rond… Même si je reste des mois entiers sans dessiner, j’ai besoin d’être dans mon atelier. C’est mon univers, un endroit où je me sens toujours bien… J’y vais tous les jours de la semaine, sauf le week-end et je passe mes journées à feuilleter mes bouquins, imaginer des histoires, discuter avec des copains… et je ne vois pas le temps passer. Il m’est très difficile de me faire à l’idée de devoir m’extirper de ma bulle, et je ne le fais que lorsque j’y suis obligé, pour des raisons familiales ou professionnelles. Et là, c’est le premier pas qui coûte car, dès que j’en fait l’effort, je peux très
facilement en sortir et trouver du plaisir à faire autre chose. Sauf si c’est une promenade. Je déteste me promener. Quand je fais quelque chose, j’ai besoin d’avoir un but à atteindre. Je peux trouver du plaisir à bricoler quand c’est pour faire quelque chose, à me promener si c’est pour aller ramasser des champignons... C’est très simple : si je ne suis pas créatif, je m’emmerde. Je suis un rêveur mais je ne suis pas un flâneur. Le dessin est mon vrai compagnon depuis que j’ai 7 ans. Ce que je fais est le résultat de ce que j’ai fait et de ce que je suis, et il me renvoie encore plus à moi-même… Cela forme un cercle vicieux qui pourrait m’entraîner dans une sorte de spirale très égocentrique… Alors,. Et dès que vous devenez un rien populaire, les autres vous encouragent à croire que vous êtes quelqu’un d’important. J’essaie de ne pas tomber dans ce piège et de rester vigilant face à tout ces compliments qu’on peut me faire. Si vous ne faites pas attention à cela, c’est là que vous risquez d’avoir un ego surdimensionné. »
A vous entendre parler de votre art de vivre, on pourrait presque imaginer que vous vivez renfermé dans votre monde intérieur. C’est un jeu dangereux, non ?
Oh là là… Je ne suis pas un autiste non plus ! Mais c’est sûr que c’est dangereux car, sans me considérer pour un artiste, être un créateur , c’est un état d’esprit, une manière d’appréhender le monde à travers un moyen d’expression. Et pour être dans son art, il faut se mettre à son service, en être habité, vraiment. Pour moi, c’est comme ça et je ne pense pas pouvoir faire autrement. C’est comme ça. Je suis dedans, pleinement dedans, et j’aime ça. Puis quand vous recevez le retour de vos lecteurs sur votre travail, c’est merveilleux. J’associe ça à ces musiciens qui sur scène reçoivent en direct le retour de leur public qui reprend ses chansons ; et dans les loges, ils doivent être totalement abasourdis par l’intensité de ce qu’ils viennent de vivre. Contrairement à nous, auteurs de BD, le retour est direct et rapide et cela doit être encore plus affolant. C’est pour ça que ce sont souvent des personnes un peu plus allumées que les peintres ou les écrivains qui vont mettre plusieurs mois à faire leur bouquin et dont le retour va être distillé dans le temps.
Quand vous dites que vous êtes dedans, est-ce que ça signifie que vous vous suffisez à vous même et que lorsque le monde s’immisce dans votre vie, vous le vivez comme une intrusion ?
Je sais que les seules choses qui me sortent de mon état créatif, c’est la faim, le froid, le sommeil… et le téléphone ! Ou bien parce que je sais que c’est l’heure de rentrer à la maison. Et parfois, quand je suis vraiment bien concentré, je n’ai absolument aucune envie de m’arrêter.
C’est un état frénétique ?
Oui. Quand un musicien est en plein dans l’écriture d’une symphonie et qu’il sent les notes s’enchaîner toutes seules, il vit un état de grâce dont il est vraiment difficile de s’extraire sous prétexte du téléphone ou de je ne sais quelle contingence quotidienne. Pour moi, c’est pareil : quand je suis vraiment dedans, c’est une torture d’arrêter tout pour aller manger, par exemple. Mais parfois, c’est poussif… mais on s’habitue aussi à ces états laborieux dans lesquels, parfois, on se réjouit de petites trouvailles qui vont nous redonner de l’entrain…
Vous pourriez vivre en ermite, entièrement au service de votre art ?
Non, bien sûr que non. Mais quand je suis dedans, je suis dedans. Et puis, du fait de mon exigence, tant que je ne suis pas satisfait de mon travail, j’ai du mal à quitter ma table à dessin et abandonner le truc pour m’y remettre plus tard. Il faut que je lutte jusqu’à être parvenu à ce que je désirais. Parfois, des personnes disent que je suis né avec un crayon au bout de la main ; c’est des conneries tout ça ! Bien sûr que je peux faire d’emblée un beau dessin satisfaisant, mais on est des millions sur la planète à pouvoir le faire. Mais arriver à obtenir sur le papier le dessin, ou l’intention que j’ai en tête, ça c’est tout autre chose. Et je ne l’obtiens qu’à force d’effort et de persévérance. |