"Loisel, à l'ombre de Peter Pan" - carnet de bord
par Christelle Pissavy-Yvernault

Jeudi 2 février 2006

Après mes virées successives au Mans puis à Angoulême, je me replonge dans le bonheur des transcriptions… Au rythme où je vais, j’en ai pour quelques semaines de travail. Si je parviens à décrypter une cassette par semaine, je devrai avoir tout terminé d’ici à la prochaine venue de Régis en mars prochain. Ca va chauffer !

A Angoulême, j’ai pu rencontrer le frangin de Loisel et l’interviewer, devant caméra, pour lui soutirer quelques anecdotes amusantes ou significatives, au choix. Impressionné par ma demande, Jacky s’en est tiré avec les honneurs et a apporté quelques éléments essentiels à mon moulin. Difficile après l’avoir entendu de ne pas faire le rapprochement entre l’enfance de Loisel et l’univers des garçons perdus de Peter Pan. Pour sûr, tout y est : la bande de copains, les cabanes, les histoires qu’on se raconte chacun son tour… Très consciencieux, Jacky m’a également apporté quelques photos d’époque que Blaise n’avait pas utilisées ( ou trouvées ! ) pour son catalogue d’expo. De l’inédit, donc. Mais je les ai oubliées…

De ces séjour, j’ai réalisé combien il est important, quand on réalise ce genre d’ouvrage, de bien connaître son sujet et d’être suffisamment proche pour profiter d’un poste d’observation exceptionnel, l’air de rien. Je me souviens qu’au Mans, un soir, il m’a dit « le génie ce n’est pas de savoir faire ». C’était comme ça, dans la conversation. Vous pouvez être sûr que le lendemain, je lui ai demandé des explications qui m’ont parues particulièrement convaincantes… A Angoulême, j’ai eu le même déclic en l’observant commenter des planches que Fabrice Meddour lui avait apportées. Du coup, j’ai pris note de futures questions dans mon petit carnet et pris des photos, sur le vif, qui serviront sans doute pour le livre.

Voilà, ça se passe comme ça.

Angoulême m’a aussi permit de vérifier que j’ai au moins un lecteur à ce carnet de bord en la personne de Didier Trassard, champion de karaté. Du coup, ce soir j’ai un peu moins l’impression de parler toute seule…

Aujourd’hui j’ai donc démarré les transcriptions des interviews réalisées au Mans. Vous en voulez un extrait ? Bon d’accord, en voici en voilà. Pas facile de choisir tellement tout me plait… Toujours pour le plaisir.

A bientôt.

       
   
   
       

Extrait d'interview Régisl Loisel - Le Mans, 18 janvier 2006

… Vous avez eu le sentiment d’une enfance privilégiée ?

Oui, vraiment. Libre. Mon père étant militaire, il était toujours absent ; notamment pendant la guerre d’Indochine et d’Algérie où il est parti pendant trois ans. Du coup, on ne le voyait pas souvent. Ma mère faisait ce qu’elle pouvait mais elle n’était pas d’une grande autorité… C’était une maman, une bonne maman. Et nous étions de bons garçons, avec cependant chacun son caractère. Moi j’étais un peu nerveux…

On peut imaginer que le dessin a dû jouer un grand rôle pour canaliser cette énergie, non ?

Oui, je pense car dès lors qu’on est pris par une passion, même enfant, on est complètement dedans. Je dis toujours que c’est une chance énorme d’être passionné. Ca vous canalise et vous construit dans une forme de solitude et de présence. Chaque chose est vraiment sentie, vécue de l’intérieur. On fait ce qu’on a à faire sans que notre esprit vagabonde vers d’autres pensées. Je me souviens très précisément de tous ces moments où j’étais complètement dans mes petits dessins. Avec mon frangin je lisais beaucoup de bandes dessinées comme Hakim, Blek le roc…

Vous en achetiez beaucoup ?

Non. Nous n’étions pas des enfants qui avaient de l’argent de poche. Même si mon père, étant officier, devait gagner sa vie correctement, nous étions tout de même 4 enfants. Alors à l’école, j’échangeais mes dessins contre des BD. Je devais avoir à peu près 12 ans. Donc quand je parvenais à me constituer une pile de bouquins, je pouvais l’échanger contre une autre pile de bouquins. C’était rigolo.

Tout à l’heure vous parliez de passion. Hormis le fait que chacun n’a pas une passion dans la vie, qu’est-ce qui fait qu’une passion devient une vocation ?

Je crois que c’est une question de caractère. Je pense surtout que lorsqu’un enfant commence à prendre conscience qu’il fait des progrès, cela encourage sa passion. Imaginez que vous jouiez de la guitare : au début vous ne faites que trois notes, puis vous parvenez à enchaîner 3 ou 4 accords… par rapport à un autre qui ne progressera pas, son succès va l’inciter à persévérer. Et puis je crois beaucoup à la puissance de la notion d’effort. Si vous n’avez pas cette notion en vous, malgré la passion, tôt ou tard vous allez vous retrouver agonisant. Moi j’ai toujours été du genre obstiné : déjà enfant, quand je n’arrivais pas à bien dessiner une main, par exemple, je recommençais jusqu’à ce que j’y parvienne. Et de m’être aperçu que je faisais des progrès m’a encouragé.

Vous aviez déjà ce souci de perfection qui vous caractérise encore aujourd’hui ?

Non, je ne parlerai pas de perfection mais d’exigence. Huit jours plus tard, je regardais la main dessinée et la trouvait nulle mais peu importe : quand je l’avais dessinée, je savais qu’elle n’était pas parfaite mais elle était ce que je pouvais faire de mieux à ce moment-là. Mais déjà, pouvoir porter un regard critique son travail vous incite à faire toujours mieux ; cela signifie que vous avez en vous une certaine exigence que je qualifierai de motrice. Et c’est dans ce mécanisme-là qu’une passion peut naître : dans la notion d’effort. Peu à peu, l’effort cède la place à la passion. Il y a des paliers à passer car il arrive des moments où vous stagnez. Mais la notion d’effort revient, vous vous obstinez à continuer, à chercher… et vous êtes parvenu au niveau supérieur ! C’est comme dans la vie : vous avez des caps à passer, vous n’y arrivez pas, vous patinez , vous vous dites « ok je patine mais je veux avancer » et un beau jour, hop ! vous accrochez, vous avez franchi l’étape. Et dans le dessin, c’est comme dans la vie : si vous n’avancez pas, vous reculez.
Enfant, j’ai su dessiner les oreilles en regardant les dessins d’Uderzo et, une fois ce problème résolu, je suis passée à autre chose, comme souvent les enfants je crois.

Qu’est-ce qui a fait que pour vous, savoir faire ne vous suffisait pas ?

D’abord je n’ai jamais su dessiner les oreilles, et pourtant j’en ai recopié des dessins d’Uderzo ! Ses oreilles sont d’un  type très simple comme on peut le retrouver chez Franquin ou d’autres auteurs et elles ne conviennent pas du tout à mon type de dessin plus caricatural, voire plus réaliste. On ne peut pas mélanger les codes d’un genre à l’autre. Et c’est parce que je ne savais pas dessiner les oreilles que je les ai dessinées dans tous les sens et aujourd’hui, j’ai réussi à trouver mon propre code d’oreille. Et cela m’a pris plusieurs années pour y parvenir.

A suivre…

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